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Dachau, le premier camp de concentration Nazi, édifié peu de temps après l'accession d'Hitler au pouvoir, a servi à conceptualiser la méthodologie de terreur qui sera utilisée ensuite pour l'annihilation des ennemis de l'état Nazi. L'œuvre constitue une exploration contemplative du camp en tant que lieu de mémoire, face à l'impossibilité de ressusciter les millions de victimes. L'observateur interagit avec les lieux du camp : les barraquements, le bunker prison, le crématoire, guidé par un battement de cœur tumultueux et mourrant.

DACHAU : LE PROTOTYPE
La Barbarie
en Trois Etapes Faciles
Structure de l'Œuvre
Inventaire des Images
La Partition

Samedi, le 26 janvier 2002, j'ai pris le train de banlieue jusqu'à Dachau, une bourgade située dans la périphérie nord-ouest de l'agglomération de Munich. Je suis venu à Munich quelques jours auparavant pour participer à un projet européen "Leonardo", conduit par une entreprise de formation professionnelle locale traitant de la "gestion de contenus web". J'étais le partenaire français, et il s'agissait de ma première occasion d'expérimenter l'utilisation des euros (qui était devenue la devise officielle au début du même mois) en dehors de la France, chose qui a rendu la "sensation" de l'Europe bien tangible et fort agréable.

Un fonctionnaire de l'office de tourisme de Munich m'a prévenu gentiment qu'il faudrait mieux faire référence à "Dachau" en tant que "mémorial", et pas en tant que "camp de concentration", face à la susceptibilité exacerbée des habitants qui ont ras le bol des visiteurs qui débarquent en pensant trouver juste le camp, quand, en fait, le nom représente une ville entière.

Dachau était le premier camp de concentration, le prototype, où les Nazis ont édifié les principes et peaufiné la conduite de la barbarie. Qu'il soit près de Munich n'est aucunement une coïncidence, car Munich était le berceau et la capitale spirituelle du régime. Le camp de concentration a été ouvert en 1933, immédiatement après l'élection de Hitler, et a été utilisé initialement pour des prisoniers politiques, notamment de gauche, et des communistes.

On prends le bus de la gare jusqu'au camp. Il passe à travers des lotissements ordonnés. Durant les années trente, le camp était vraisemblablement hors limite urbaine - mais la ville a grandit, et aujourd'hui il y a une succursale Mercedes et un restaurant Macdonalds tout près. Je me suis demandé si la présence du camp dans les environs a été incorporée dans les calculs de l'étude de marché, en fonction des visiteurs qu'il attire dans le quartier. Visiter le camp ôte tout appétit.

Le plupart des baraquements ne sont plus là, restent des enclos de gravats représentant les fondations. Le camp est une étendue énorme et vide. La barrière en barbelés délimite toujours le périmètre ; quelques miradors sont encore là.

L'ancien bâtiment administratif qui faisait face aux rangs parallèles des baraquements abrite un musée extrêmement bien fourni avec photographies et documents. Cependant, seule une moitié du musée était ouverte lors de ma visite, car l'exposition était ancienne et en cours de réhabiitation. Les explications sont en plusieurs langues. Un tableau à double entrée présentait la classification des triangles ou étoiles de couleur différente pour toutes les catégories de prisoniers incarcérés à Dachau : politiques, Juifs, homosexuels, Témoins de Jéhovah, Tsiganes, travailleurs esclaves de différentes nationalités :le système permettait des symboles graphiques composés car une personne pouvait appartenir à plusieurs catégories… une partie de l'exposition portait sur les expériences médicales pratiquées sur les prisoniers - plongés dans de l'eau gelée afin de simuler des conditions de combat extrêmes, ou enfermés dans un sas qui était dépressurisé afin de simuler l'effet des altitudes élevés sur des pilotes, où ils ont hurlé jusqu'à leur mort. J'étais frappé car ici il n'y avait plus d'explications dans d'autres langues, comme si les gens qui ont réalisé l'exposition ont ressenti une telle honte, qu'ils ont préféré garder ce "secret de famille" en allemand, leur rage de documenter exhaustivement restant intacte.

Derrière ce bâtiment se trouve une bâtisse longue et basse, comme un chenil, contenant un couloir étroit avec des miniscules cellules de chaque côté. Il s'agissait du "bunker", la prison au sein de la prison, où les SS effectuaient leur sale besogne. Le bâtiment dispose d'une porte d'entrée en bois, belle et lourde, avec une poignée en fer forgé orné, un style rétrograde et dépravé. Le bunker est parallèle au mur d'enceinte du camp, mitoyen aux arrières-cours des maisons voisines, les fenêtres de leurs étages supérieurs dévisageant le camp.

Le seul baraquement restant contient le mobilier utilisé par les prisoniers, les couchettes, tabourets, tables, propres et polis, si éloignés du frottement infini de la chair contre bois de douze longues années d'horreur et de chagrin.

A l'autre extrémité du camp se trouvent les fours crématoires. C'est dans une clairière boisée, en dehors de la zone principale du camp. Il y a là-bas, en outre, une chambre à gaz, qui, apparemment, n'a jamais servi. Il est possible qu'un dénommé Sigmund Rascher, médecin qui a officié à Dachau y ait conduit des expériences : ses attributions incluaient l'optimisation du processus d'extermination...

Les visiteurs du camp n'utilisent plus l'entrée originale, le portail couvert d'"Arbeit Macht Frei" ("Le Travail Rends Libre"). J'y terminais ma visite, en soirée, en faisant attendre le gardien, impatient, quand j'ai pris mes dernières photographies.

POST-SCRIPTUM

Le matin suivant je suis allé voir les Glockenspiel à Munich. Le Nouvel Hôtel de Ville a été construit à la fin du 19ème siécle dans un pastiche Gothique, style dont les notables locaux devaient penser que la populace vénérera dans des temps incertains. Le Glockenspiel est un petit spectacle mécanique de personnages médiévaux, peints souffreteux déclenchée à midi, accompagné par des cloches (les glocken) clinquantes et décousues - les personnages dancent, le bon chevalier transperse le mauvais chevalier, puis les courtisanes virevoltent, suspendues légèrement d'une seul main. Ce qui m'a fait penser à un des supplices préférés à Dachau, qui était de ligoter les mains des prisoniers derrière la tête et les suspendre ainsi pour une petite heure, c'était semble t-il abominablement douloureux.

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