La photographie interactive met en question le statut même
du tableau. Au-delà de l'image, c'est le dispositif d'affichage,
l'ordinateur et son écran, qu'il faut inscrire dans un contexte
socio-culturel et psychologique.
Des tableaux nous interpellent à travers les âges. Depuis
que l'humanité a éprouvé le besoin irrésistible
de s'extérioriser à travers l'expression artistique, elle
a orné les murs avec le fruit de sa créativité.
C'était déjà le cas dans des grottes, c'est désormais
le cas dans des salles de conseil, passant par cryptes, cathédrales,
musées, et nos habitations à tous. Il s'agit d'un désir
universel, présent à toutes les périodes, chez tous
les peuples, à travers tous les styles, pour des motivations religieuses,
rituelles, sociales, culturelles, économiques, politiques, dynastiques… tout
y passe. C'est comme si ces murs illustrés représentaient à la
fois la façade extérieure de notre for intérieur
et la façade intérieure du monde environnant, médiateur
permettant à notre dedans de s'approprier et d'apprivoiser notre
dehors.
Les moyens choisis afin de présenter une œuvre picturale
n'e sont jamais neutres. Des choix concernant les aspects extérieurs
de l'œuvre elle-même, tels que ses dimensions, ou la forme,
voire l'opulence, de son cadre contribuent d'une manière fondamentale à l'expérience
de sa perception. Ces aspects, étrangers au sens véhiculé par
l'œuvre, s'y immiscent inévitablement. De même qu'un
film n'est pas vécu de la même façon dans une salle
obscure parmi nos semblables que sur un téléviseur dans
son séjour.
Tableau vs Ordinateur
L'œuvre interactive défie la nature inerte de la représentation
picturale traditionnelle, qu'elle soit peinture ou photographie :
un tableau, dans lequel le spectateur s'engage dans un dialogue interactif
ne se scrute pas de la même manière. Une relation active,
complice, s'instaure, qui va au-delà de la contemplation ou l'interprétation,
actions autonomes par rapport à l'œuvre. Ainsi l'acte de
représentation porté par l'œuvre s'ouvre à l'auto-métamorphose
grâce à l'interactivité, en rupture avec l'art pictural
traditionnel...
L'ordinateur, bien qu'essentiel pour faire fonctionner de tels
tableaux, n'est toutefois pas l'objet idéal pour le faire. L'ordinateur
porte toute un bagage de connotations et d'impatiences, contre-indiquant
la mono-utilisation qui est l'affichage de tableaux. Un outil d'une telle
ubiquité imprime sa forte identité sur tout qui s'y passe.
En tant que centre d'activités l'ordinateur symbolise l'outil
de travail lui-même, et l'image affichée y est le plus souvant
cantonnée au rôle de fond d'écran, perçu à la
périphérie des fenêtres de la suite "Office" de
Microsoft.
L'art numérique souffre de cette relation ambigüe avec son
support : son statut propre se trouve sans cesse phagocyté par
le caractère envahissant de l'ordinateur. Certes, des œuvres
numériques, de plus en plus nombreuses, sont projecées
dans le cadre d'installations. Mais dans le cas de mes photographies
interactives, je cherche à recréer la relation intime qui
existe entre le spectateur et l'œuvre encadré.
En même temps, on est entouré d'appareils qui, sous d'autres
aspects, restent des ordinateurs. L'exemple le plus emblématique
est l'assistant personnel numérique, de type Palm, qui est perçu
en tant qu'agenda, répertoire, calepin, avant d'être ordinateur.
Un téléphone mobile offre plus de possibilités que
les ordinateurs d'il y a une dizaine d'années. L'ordinateur le
mieux déguisé est probablement la console de jeu.
Cette spécialisation obéit à plusieurs impératifs.
Optimiser un appareil pour des utilisations spécifiques permet
d'éviter le piège de l'ubiquité de l'ordinateur
- et les plantages qui vont avec. Un appareil dédié est
plus intuitif à manier en regard de la complexité de l'ordinateur
généraliste. Enfin, la forme de l'appareil spécialisé permet
de l'adapter à sa fonction - en termes à la fois opérationnels
et représentationnels - afin qu'il soit en accord avec son environnement
et son utilisation.
Ordinateur vs Cadre
Le projet consiste à concevoir et réaliser un "ordinateur-tableau" mural.
La carte mère sera lovée derrière un écran
plat, le tout maintenu ensemble dans un cadre à la fois structurel
et décoratif.
Il sera assimilable à un tableau dans son cadre, afin de revendiquer
son appartenance au sein de la très longue tradition de représentation
murale. De cette manière, l'œuvre picturale numérique
pourra se développer sur son ancrage dans son contexte historique
et culturel.
Le flou entre "tableau encadré" et "œuvre
interactive" sera lui-même générateur de sens,
créant la surprise et le lieu d'intimité où le spectateur
pourra aborder l'œuvre avec un supplément d'émotion
et de sensibilité perceptuelle.
Est-ce que c'est "passéiste" de vouloir enfermer un
ordinateur dans un cadre ? On peut répondre que non, car
on veut précisément établir l'association à la
coutume d'usage dans le champ de l'art pictural, pour mieux faciliter
le dialogue entre œuvre et spectateur. Le contraste entre forme
traditionnelle et média interactif est lui-même saisissant
et source de réflexion.
Pour échapper à l'ordinateur, justement, le tableau devra
adopter la symbolique du tableau, à travers la grammaire de la
représentation picturale qui s'est développée tout
au long de l'évolution historique de l'art.
L'état actuel du projet
L'objectif est de concevoir un dispositif d'ordinateur-tableau
assemblé à partir de composants PC standards, afin de mettre
en place un système facilement reproductible. L'ensemble sera
suffisamment générique et adaptable pour pouvoir afficher
une diversité d'œuvres interactives, donc utilisable par
tout artiste le souhaitant pour l'exposition de ses propres travaux.
Une étude technique a été menée, aboutissant à des
plans pour la réalisation d'un prototype du dispositif pour tests
et validation. Le schéma présenté ci-dessous en
est extrait. Toute personne intéressée par ce projet est
priée de contacter joetopia. |